A l’aube des années 2020, regarder dans le rétroviseur des marchés financiers permet de s’apercevoir de la mutation profonde opérée à l’intérieur des composantes majeures des principaux indices mondiaux.
Miroir de l’économie réelle, les places financières voient apparaître depuis une dizaine d’années des nouveaux mastodontes dans le palmarès des plus grosses capitalisations. Les entreprises industrielles classiques ont laissé leur place de leader à des compagnies technologiques, pour la majorité, basées sur la côte ouest des Etats-Unis.
Le poids global du Nasdaq 100 s’élève désormais à plus de 8000 milliards de dollars (le CAC40 pèse 1500 milliards) contre seulement 2400 en 2000, juste avant l’éclatement de la bulle Internet. L’indice regroupe tous les géants de la nouvelle économie. Les sept premières capitalisations cumulent plus de 40% de la valeur totale de l’indice. Cette concentration des « valeurs entreprises » génère des Ecosystèmes où chaque virage stratégique, voire chaque révision des « guidances », peut secouer la planète finance.
Jamais la révolution technologique n’a été aussi rapide, créant des ruptures dans les modes de vie de chacun. Notre quotidien a changé et change encore tous les jours à s’en frotter les yeux pour dissocier la virtualité et la réalité. Cette explosion de l’économie digitale se veut programmée par l’hégémonie de ses Ecosystèmes.
Le moteur de ces GAFA a généré leur succès : changer le monde grâce au développement de l’intelligence artificielle et de la Big Data. Les hommes initiateurs de ces projets fous, commençant pour la plupart d’entre eux dans un garage, ont toujours eu une seule obsession : passer du rêve à la réalité avec des croissances exponentielles.
Il s’agit d’une révolution d’un nouveau type, le progrès technique avait jusqu’à présent permis des sauts de puissance. L’intelligence artificielle, sous toutes ses formes, fait basculer le monde vers des vertigineux infinis. Les gigantesques bases de données génèrent un pouvoir immense aux GAFA américaines et aux BATX chinois qui en sont les détenteurs.
Ces compagnies superpuissantes ont vocation à prendre la relève des dirigeants politiques puisqu’elles comprennent mieux le futur que ces derniers. Les observateurs n’hésitent pas à expliquer que tout état nain technologiquement deviendra nain géopolitiquement. L’Europe, en manque de leader mondial dans ce domaine, pourrait-elle échapper à ce constat ? Les décisions majeures qui risquent de déterminer le destin de la planète dans 50 ans ont plus de chance de se prendre dans les bureaux dorés de la Silicon Valley que parmi les chefs souverains.
Prévert citait : « le progrès, c’est trop robot pour être vrai ». Il est clair que de plus en plus de voix s’élèvent pour plus de transparence dans la gestion de la Big Data, pour les critères de pratiques commerciales, afin d’éviter les situations trop monopolistiques et enfin, pour piloter efficacement la fiscalité. Si elle est indispensable, la régulation s’annonce délicate et complexe car elle exige une volonté commune de tous les Etats.
Patrick REJAUNIER
Article tiré du magazine Strike 200 / mars 2019