Verra-t-on un jour un client d’une banque toucher une rémunération pour avoir contracter un prêt ? La question peut paraitre absurde, économiquement parlant, et pourtant le contexte des taux se veut tout prêt d’offrir une telle situation insolite. L’est-elle réellement, insolite, quand on sait que les taux s’orientent à la baisse depuis la crise des dettes d’Etats, il y a une dizaine d’années, époque depuis laquelle les banques centrales jouent un rôle primordial dans la stabilité de la planète financière. Baisser fortement les taux directeurs et racheter des titres obligataires sur le marché secondaire constituèrent leurs armes principales pour éviter la faillite de certains pays, relancer la croissance par le biais du système bancaire et espérer relancer l’inflation. A l’heure d’un bilan décennal, il convient de constater que si le premier objectif a été atteint (surtout dans la zone euro grâce à la BCE), l’expansion économique a surtout profité aux Etats-Unis et principalement à ses GAFA. Quant au niveau des prix, à ce jour, il reste encore largement en-dessous des cibles annoncées par les autorités monétaires.
La recrudescence de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine a suscité de l’incertitude sur les marchés financiers et alimenté la fuite vers les titres refuges sur le marché des emprunts souverains. En réaction à cette incertitude, les rendements du Trésor américain (1.6%) et des Bunds (-0.65%) ont fortement chuté ces dernières semaines.
Pour la première fois depuis dix ans, les rendements des bons du Trésor à 10 ans viennent de passer, en août, sous ceux des titres à 2 ans. L’inversion de la courbe est redoutée car elle est très souvent interprétée comme le signal précurseur d’une récession. Si les emprunts en dollar offrent encore des rendements positifs, ceux des titres en franc suisse (l’emprunt à 30 ans négocie sur une base de -0.58%) et en euro, voire en yen sont quasiment tous en territoire négatif. Le phénomène s’auto-entretient. En effet, les investisseurs restent à l’affût du moindre rendement, déplaçant, de ce fait, leurs allocations sur des échéances de plus en plus longues, afin d’obtenir les rémunérations moins faibles, comprimant ainsi la courbe des taux. Ce mouvement a continué de pousser les rendements vers le bas pour la très grande majorité des obligations « Investment Grade » (rating entre AAA et BBB-).
Certes, le contexte des taux tendant vers zéro ou en direction des zones négatives, a largement contribué à l’accès au marché pour les pays en difficulté. La Grèce peut en témoigner, elle qui peut emprunter aujourd’hui sur dix ans à 2%, soit au même taux que les Etats-Unis. Cette opportunité pour les Etats à voir leurs charges financières se minimiser ne doit se faire au détriment d’un endettement massif, voire colossal. De plus, le maintien des taux négatifs met en exergue la problématique, en France, des contrats d’assurance-vie pour lesquels les gestionnaires doivent valoriser leurs contrats avec parfois de prises de risques dans les actifs, pour compenser la baisse des rendements obligataires et glaner ainsi quelques points de base afin de capter de la nouvelle épargne. Une stratégie qui va s’ébranler en cas d’une remontée soudaine des taux, accompagnée d’une dégradation des actifs à risques. Pas de quoi inciter les autorités monétaires à changer leur cap accommodant, même si pour certains observateurs, le contexte des taux bas avantage considérablement les Etats au détriment de leurs citoyens épargnants.
Patrick Rejaunier
Article tiré du magazine Strike 205 / septembre 2019