Nous ne connaissons pas personnellement Elon Musk, le fantasque patron de Tesla et d’une kyrielle d’autres entreprises innovantes. Mais nous aurions volontiers parié qu’il prenait un malin plaisir à se fabriquer une image d’hyperactif sautant d’une success-story à l’autre et s’amusant à crucifier ses détracteurs en place publique, en se servant de Twitter.
Mais apparemment, l’homme est surtout torturé par sa peur de l’échec. Dans une étonnante interview réalisée mi-août par le ‘New York Times’, Musk a fait part de son mal-être, de ses semaines de 120 heures, de son incapacité à prendre plus d’une semaine de congés depuis 2001, d’un sommeil dépendant aux somnifères ou de son isolement social. Un entretien réalisé après une quinzaine un peu folle, au cours de laquelle il a lancé une bombe sur Twitter, un projet de retrait de la cote de Tesla, “j’ai l’intention de retirer Tesla de la cote à 420 USD. Financement sécurisé”, a-t-il écrit, prenant de cours son propre conseil d’administration, ses bailleurs de fond potentiels et ses conseillers.
Le problème, c’est que la communication financière est une affaire sérieuse, fermement encadrée par les régulateurs boursiers. Les déclarations à l’emporte-pièce n’y ont pas leur place. Musk avait déjà franchi la ligne jaune à plusieurs reprises sur les réseaux sociaux. Sa sortie sur le retrait de la cote a déclenché une enquête de la SEC. Le gendarme boursier planchait déjà sur la communication financière du constructeur de véhicules électriques. Il faut dire que le PDG avait initialement promis que la Model 3, le modèle grand public de la société, serait produit à 200 000 exemplaires fin 2017. Un objectif révisé à 20 000 unités par la suite. Au final, les lignes Tesla n’ont sorti que 2 700 Model 3 l’année dernière. Un décalage entre les prévisions et la réalité qui a évidemment interpelé la SEC.
Être une société cotée impose un certain nombre d’obligations de transparence, illustrées notamment par la publication périodique des comptes ou la communication des informations susceptibles d’influer sur la vie de l’entreprise et donc sur son parcours de bourse. Les règles varient d’une juridiction à l’autre, mais il existe une trame commune fondée sur le bon sens et l’équité. En France, l’AMF parle d’une communication “exacte, précise et sincère”. Dans l’affaire Tesla, ou plutôt les affaires Tesla, le régulateur américain va d’un côté devoir déterminer si la société a prévenu suffisamment tôt les investisseurs des problèmes de montée en cadence de la production (dans le dossier Model 3) et d’autre part si Elon Musk, quand il a annoncé le projet de retrait de la cote de Tesla, avait toutes les garanties nécessaires pour le financement et si le prix annoncé était fondé sur des éléments tangibles.
Nous n’anticiperons pas sur l’issue des enquêtes. Mais une chose est sûre : les réseaux sociaux, et plus précisément Twitter, ont introduit une nouvelle dimension de volatilité sur les marchés. Non seulement à l’échelle globale, comme le démontre chaque Tweet de Donald Trump, mais aussi au niveau des entreprises cotées, lorsque leurs dirigeants prennent trop de liberté par rapport à la trame réglementaire. Le PDG de Tesla pourrait l’apprendre à ses dépens. Alors, Elon, “on ne te connaît pas, mais laisse nous te dire que tu te prépares des nuits blanches… des migraines… des nervous breakdown”, pour paraphraser les Tontons Flingueurs.
Patrick Rejaunier
Article tiré du magazine Strike 194 / Septembre 2018