Dans de nombreux domaines et depuis plusieurs décennies, les machines deviennent plus performantes que les hommes. D’abord utilisés pour des tâches purement manutentionnaires, les robots deviennent de plus en plus « intelligents » et sont capables d’intégrer un nombre de données infini. L’intelligence artificielle montre aujourd’hui ses prémices dans l’univers du conseil financier avec les robo advisors, terme anglo-saxon pour désigner des robots gestionnaires de portefeuille.
Un robo advisor est un service délivrant une gestion de portefeuille totalement automatisée basée sur des algorithmes complexes sans aucune intervention ou analyse humaine. Il y a aujourd’hui 3 principales formules de robo advisor : totalement automatisée, accompagnée et auto-dirigée. Dans le premier cas, l’investisseur ne fait absolument rien et laisse le robo advisor prendre toutes les décisions et les mettre en application sans même avoir à les approuver. La version accompagnée permet à ceux qui ne souhaitent pas aller aussi loin d’avoir l’assistance d’un conseiller physique pour expliquer les décisions prises par le robo advisor. Enfin la formule auto-dirigée met à disposition de ses clients des outils agrégeant des analyses et conseils dans lesquels ils peuvent piocher à leur guise.
Tous ces conseillers digitaux ont pour caractéristiques communes la facilité d’accès (logiciels et applications fonctionnelles 24h/24 et 7j/7), des objectifs de diversification, un délai de réaction extrêmement rapide face aux événements de marchés ainsi que des coûts très faibles. En effet les frais liés à ce type de gestion sont extrêmement bas, sans commune mesure avec un gestionnaire traditionnel « humain », démocratisant ainsi un service très souvent perçu comme élitiste. Au-delà de ça, une gestion dépourvue de prises de décisions humaines se targue d’éviter l’influence néfaste des sentiments sur la rationalité pure qui doit mener à l’action d’investir.
Si les algorithmes sont les seuls décisionnaires, ils intègrent dorénavant ce qui pourrait s’apparenter à un « feeling » humain. Une dimension d’apprentissage en profondeur a été développé afin d’ajouter à ces robots une forme de mémoire et d’effets d’expériences pour extraire plus rapidement la meilleure combinaison parmi un nombre gigantesque de possibles. Ainsi sont-ils désormais capables d’apprendre de leurs erreurs, s’auto-corrigeant et s’auto-perfectionnant à la manière d’un humain qui apprend à tâtons et se souvient de ses erreurs afin de ne pas les reproduire. Ces récents développements n’en sont qu’à leurs balbutiements mais devraient se perfectionner et se généraliser à de nombreux secteurs dans les années à venir.
L’émergence des robo advisors n’est pas seulement due aux évolutions technologiques mais aussi aux changements de société. Il faut en effet pouvoir accepter l’idée que des machines puissent gérer de A à Z un domaine aussi important pour les investisseurs que leur portefeuille. Si autrefois cette idée était inconcevable tant l’information financière était difficile d’accès et le rôle du conseiller omniprésent, aujourd’hui la révolution Internet et les smartphones ont permis une vulgarisation et un accès élargi de la finance au plus grand nombre. La génération Y, composée des individus nés entre 1982 et 2004, a grandi avec le culte de l’ordinateur et l’habitude d’aller chercher par eux-mêmes sur Internet tout type d’informations, notamment financières. Un sondage réalisé en 2014 par le broker en ligne américain E*Trade montre que les personnes de moins de 35 ans sont plus enclines à utiliser leurs smartphones ou leurs tablettes pour trouver des stratégies d’investissements et gérer leur portefeuille que leurs pairs plus âgés. C’est ainsi les investisseurs de la génération Y qui ont été les premiers a naturellement faire confiance aux robo advisors.
Quel futur envisager alors pour ce business de conseillers digitaux ? Vont-ils peu à peu tuer la profession de conseillers financiers, gestionnaires de patrimoine, gérants de fonds… ? Si leur arrivée promet d’induire des changements certains, il faut néanmoins relativiser leur importance actuelle d’une part et leur potentiel de croissance à venir. Tout d’abord, le ciblage du profil rendement/risque et des objectifs d’un investisseur par un robot est encore assez simpliste et peu flexible même si les services proposés sont nombreux. Si ce point sera sans doute amélioré dans les années à venir, il reste aujourd’hui un frein pour de nombreuses personnes.
L’apparition de ces « nouveaux » conseillers étant très récente et pour le moment très concentrée au marché américain, il est difficile de se faire une opinion éclairée même si des études donnent des chiffres plutôt prometteurs. Récemment sont apparues, dans certains pays, des lois interdisant les rétrocessions au profit des conseillers financiers pour le placement d’un actif auprès de clients. Ces mesures ont conduit à une baisse des revenus de certains conseillers et à une diminution globale de leur nombre (-25% en Grande-Bretagne entre 2011 et 2013). Les robo advisors combleraient volontiers ce vide sur le marché du conseil financier…
Pour continuer leur croissance, les robo advisors devront élargir leur clientèle à des tranches d’âges plus élevées. La nature même des clients actuels des robo advisors posent quelques questions notamment sur leur fidélité. Ces services étant bon marché et déshumanisés, l’engagement des clients est relativement faible et rien ne garantit donc leur loyauté envers un robo advisor plutôt qu’un autre ou encore leur motivation pérenne pour l’investissement financier en général. A contrario, on pourrait facilement imaginer un jeune trentenaire initié aux marchés financiers par un robo advisor se tournant au fur et à mesure de son parcours boursier vers un conseiller financier traditionnel afin d’avoir un contact humain et une meilleure écoute de ses objectifs. Dans ce cas, le robo advisor ne serait qu’une version low-cost d’un gérant classique ou encore un produit d’appel. Par ailleurs il est fort probable que la profession de conseillers financiers classiques subisse quelques ajustements (diminution des honoraires, digitalisation des services…) afin de contrer l’arrivée des robo advisors.
Enfin, que penser de la gestion d’un robo advisor dans le cas extrême d’un krach boursier ? C’est précisément lors d’une configuration de marché caractérisée par des tensions extrêmes que les robo advisors pourraient montrer leur limite. Etant paramétrés pour prendre des décisions purement rationnelles, que feront ils lorsqu’ils se trouveront face à un marché aussi irrationnel que lors de la crise en 2008 et comment rassureront-ils leurs clients?
Propos traduits et issus d’un article de Peter Dixon, Global Equities Economist chez Commerzbank dans le magazine Thinking Ahead, juin 2016.
Article tiré du magazine Strike 171 / Juillet 2016